Ateliers pour gérer les altises sans insecticide

Gérer les altises sans insecticides : des ateliers pour mettre au point des stratégies innovantes, retour sur ces ateliers

Dans le cadre du Plan d'action sortie du Phosmet et plus précisément du projet Ctrl-Alt, INRAE et Terres Inovia, avec le soutien de la Chambre d'Agriculture d'Ile-de-France, a organisé début février 2024 trois ateliers pour co-concevoir et mettre en œuvre des itinéraires techniques innovants pour gérer la grosse altise du colza, en mobilisant un panel de leviers nouveaux et existants.

Face à l’interdiction du Phosmet et devant un nombre croissant de résistances aux  pyréthrinoïdes, le Plan d’action de sortie du phosmet finance des projets de recherche et développement pour identifier des alternatives non chimiques à la gestion des ravageurs d’automne du colza (Larguier & Le coeur, 2022). Parmi ceux-ci, le projet Ctrl-Alt a pour objectifs (i) d’identifier des plantes de services attractives vis-à-vis des grosses altises adultes, (ii) d’isoler les composés organiques volatils (COV) responsables de cette attraction et (iii) de tester leur potentiel pour détourner les grosses altises du colza (Cortesero, 2022).

Des ateliers pour co-concevoir des stratégies de gestion des insectes sans insecticide

Dans le projet Ctrl-Alt, l’UMR Agronomie a pour objectif d’identifier des stratégies multi-leviers pour gérer les ravageurs d’automne sans insecticide, puis à les tester chez des agriculteurs. Les leviers concernés peuvent relever de travaux en cours (implantation de plantes de services attractives) et de connaissances déjà établies, comme la stratégie Colza robuste, comprenant plusieurs leviers agronomiques pour favoriser une croissance dynamique et continue du colza à l’automne.

Pour impliquer les agriculteurs dans l’exploration des leviers et dans la conception d’itinéraires techniques adaptés à leur situation, trois ateliers de co-conception ont été organisés en février 2024, à Magnanville (78), Étampes (91) et Chartres (28).

L’atelier de co-conception est une démarche qui s’appuie sur les connaissances portées par la diversité de participants. Elle repose sur le fait que les agriculteurs sont porteurs d’innovations qu’ils mettent déjà en place sur leur ferme, et co-concepteurs de celles qu’ils pourraient être amenés à tester (Jeuffroy et al, 2022).

Les objectifs de ces ateliers étaient de repérer (i) comment les agriculteurs pouvaient s’approprier opérationnellement de nouvelles connaissances relatives à l’attraction des grosses altises par différentes crucifères et (ii) comment ces crucifères attractives pouvaient se combiner à d’autres leviers connus pour imaginer des stratégies globales de gestion de ce ravageur. Les trois journées d’atelier se sont articulées en quatre étapes, pour faciliter l’exploration d’idées et une appropriation collective puis individuelle des connaissances :

1) Partage de connaissances : cycle de la grosse altise, résultats émergents sur les plantes de service attractives et stratégie de lutte intégrée ;
2) Exploration d’idées de leviers opérationnels ;
3) Construction collective d'une ou deux stratégies de gestion des altises combinant plusieurs leviers adaptés localement, appelées « prototypes » ;
4) Ébauche d’itinéraire innovant adapté à la situation et aux objectifs de chaque agriculteur, en préparation de la campagne 2024-25.

Ces ateliers ont réuni une diversité de participants : agriculteurs, conseillers de chambres d’agriculture et animatrices d’associations ou de GIEE. Au total, treize agriculteurs ont participé à ces ateliers, avec une diversité de profils d’exploitations (une majorité en grandes cultures et deux polyculteurs-éleveurs) et de modes de production (conventionnel, agriculture de conservation des sols et agriculture biologique).

Une phase de partage de connaissances, stimuler la réflexion et la créativité

En début de journée, tout atelier commence par une phase de partage de connaissances. Le choix a été fait de présenter le cycle de la grosse altise et des éléments nouveaux sur l’attraction des grosses altises vis-à-vis de différentes crucifères. Le but de cette partie est d’établir une base de connaissances communes entre les participants et de stimuler la réflexion et la créativité. Ces informations sont apportées de manière brute, dans le sens où, par exemple, aucun mode d’utilisation concrète de ces crucifères n’a été montré.

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Figure 1 - Cycle biologique de la grosse altise, Psylliodes chrysocephala. (©Dessins de Justine Pigot)

En résumé, les grosses altises adultes passent l’été en vie ralentie dans les lisières de bois (figure 1). Fin septembre, elles sortent des bois et peuvent parcourir plusieurs kilomètres pour coloniser des parcelles de crucifères. Une fois qu’elles ont commencé à s’alimenter, les capacités de mobilité se réduisent. Les altises pondent des centaines d’œufs au sol, au plus près du collet de la crucifère. Les larves éclosent et migrent ensuite dans les pétioles et les tiges pour s’y nourrir et s’y développer durant tout l’hiver. Elles peuvent ainsi occasionner des dégâts importants sur les cultures. En mars-avril, les larves tombent au sol et s’enterrent pour réaliser leur nymphose. En mai, une nouvelle génération d’adultes sort du sol et part en estivation dans les bois environnants (Bonnemaison & Jourdheuil, 1954).

Au regard de ce cycle, on retient qu’une des étapes clés dans la gestion des dégâts de ce ravageur sur colza est le choix de la plante hôte par les individus adultes au moment de la sortie d’estivation. Des essais de Terres Inovia et de l'IGEPP à Rennes montrent, en conditions contrôlées, des différences d’attraction des grosses altises en fonction des espèces de brassicacées. Parmi de nombreuses espèces testées, le chou chinois, la navette et le radis chinois présentent, en cage et en parcelle expérimentale, une plus forte attractivité que le colza vis-à-vis de la grosse altise.

Explorer des idées de leviers opérationnels en s’appuyant sur la diversité de participants

Lors de la phase d’exploration d’idées, les participants ont proposé de nombreuses idées de leviers pour gérer les populations de grosse altise et leurs dégâts sur colza sans insecticide. On peut les classer en trois grandes catégories, en fonction de leur échelle d’intervention : les populations de ravageurs, la culture de colza et l’environnement de la parcelle.

Les trois ateliers ont permis de balayer une grande quantité de leviers, de compléter ou renforcer des idées, enrichissant, ainsi, la production de connaissances. Les discussions ont ouvert plusieurs voies d’implantation de ces crucifères pièges (figure 2) :

  • À Magnanville, les participants ont opté pour l’implantation d’intercultures attractives après avoir écarté l’idée d’introduire ces Plantes de Service Attractives (PDSA) dans la parcelle de colza (jugé trop risqué et difficile à détruire dans le colza) ou en bande (du fait de la difficulté à gérer la bande une fois l’interculture détruite).
  • À Étampes, les participants ont exploré plusieurs modes d’implantation : (i) en bande dans une grande parcelle de colza, puis semis de tournesol après destruction de la PDSA, (ii) en ceinture de parcelle de colza avant une féverole qui couvrira le sol et apportera de l’azote (système ACS) et (iii) en interculture.
  • Enfin, à Chartres, une idée supplémentaire a été proposée : implanter les PDSA dans l’inter-rang d’un colza semé à grand écartement (50 cm) dans l’idée de valoriser l’inter-rang et en supposant de trouver une manière pour détruire la culture dans l’inter-rang en hiver.
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Figure 2 – Panorama des modes d’implantation de plantes de service attractives proposés lors des trois ateliers.

 

Pour renforcer le caractère attractif des couverts pièges et des repousses de colza, certains agriculteurs ont proposé d’ajouter une application de produit attractif (COV en développement), complété par une application de molécules à caractère répulsif dans la parcelle de colza (huiles essentielles).

En complément, les leviers du colza robuste (levée précoce, stock d’azote et d’eau, condition d’implantation, travail du sol raisonné) de Terres Inovia ont été reparcourus par les participants, mentionnant l’importance d’avoir un couvert à quatre feuilles fin septembre, avant l’arrivée des grosses altises. Enfin, les processus de régulation par la prédation et le parasitisme ont été explorés. Les participants ont identifié également les pratiques à risque (insecticides et travail du sol) pour les parasitoïdes (hyménoptère parasitoïde) et les prédateurs (carabes, staphylins, araignées) dans le cadre d’une réflexion systémique de gestion des populations d’altises.

Aller plus loin avec la phase de prototypage : agencer dans le temps et l’espace

Après avoir exploré les idées de leviers pour gérer la grosse altise du colza et exprimer les raisons de ces propositions (le « pourquoi ? »), la phase de prototypage a permis aux participants d’aller plus loin et d’explorer le « comment ? » en :

  • agençant dans le temps et dans l’espace les leviers avec un plateau « Itinéraire technique » et « parcellaire fictif » et des cartes actions (travail du sol, semis, fertilisation…) (figure 3)
  • sélectionnant les leviers plus pertinents ;
  • discutant des conditions de réussite ;
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Figure 3 - Plateaux "Itinéraire technique" et "parcellaire" supports de discussions pour l’élaboration de prototypes.

 

Pour soutenir la stratégie de détournement et d’abaissement de la pression ravageur, les conditions d’implantation et de destruction ont longuement été discutées. Les participants ont opté pour une implantation synchrone des PDSA avec le colza afin d’avoir des crucifères au même stade. Concernant la destruction du couvert, l’enjeu est de le détruire à un moment où les larves sont encore dans les plantes. Les participants ont décidé de détruire mécaniquement ou chimiquement les PDSA à partir de mi-novembre et avant février-mars. En parallèle, le maintien des repousses jusqu’à mi-octobre a été retenu comme un autre moyen de diluer la pression en grosse altise sur le colza en place. Pour renforcer le détournement des grosses altises du colza, la stratégie « push-pull » a été discutée. Ils proposent d’utiliser des huiles essentielles ou des COV (en cours de développement dans le cadre du plan de sortie du phosmet) pour accentuer le caractère attractif de ces zones pièges contrôlées et d’appliquer des molécules répulsives, sous forme d’huiles essentielles sur colza. En complément, deux leviers de destruction des grosses altises ont été retenus : passer avec un outil mécanique type herse étrille ou bineuse pour détruire les œufs de grosses altises et assécher le sol ou appliquer un biocide naturel (savon, huile, kaolin…). Enfin, des leviers de l’ordre de la régulation naturelle ont été adoptés dans tous les prototypes pour favoriser les ravageurs et les parasitoïdes, en limitant les pratiques à risque (travail du sol et insecticide) et en apportant des ressources aux auxiliaires (bandes fleuries).

Perspectives des ateliers, préparation des suivis de la campagne 2024-25

La journée s’est clôturée par une phase de réappropriation individuelle des idées retenues, en vue de la prochaine campagne de colza. Les agriculteurs ont, pour la grande majorité, décidé d’actionner les leviers du « colza robuste », la plupart ayant déjà l’habitude de mobiliser certains de ces leviers. En plus, plusieurs ont aussi décidé de mobiliser des plantes de services attractives, avec des modalités d’implantation diverses. Une majorité des agriculteurs (7/10) opterait pour une interculture contenant des brassicacées attractives uniquement ou en complément d’une bande ou d’un inter-rang attractif. Des leviers de l’ordre de la préservation des auxiliaires ont été retenus également par certains d’entre eux : aucun traitement insecticide et implantation ou maintien de bandes fleuries pour leur fournir des ressources alimentaires.

Ces itinéraires techniques personnels ont été précisés et recontextualisés en fonction de l’assolement prévisionnel au cours du printemps. Des suivis sont prévus à l’automne prochain pour détecter les vols d’altises (cuvette jaune) et compter les larves d’altise (protocole Berlèse).

Pour conclure, ces ateliers ont permis de formaliser le rôle de ces plantes de service attractives : concentrer et détourner les grosses altises des parcelles de colza, dans l’idée de protéger les parcelles de production. De plus, en réfléchissant à leur date de destruction, elles pourraient jouer un rôle de régulation à l’échelle pluriannuelle en détruisant une partie de la nouvelle génération de grosses altises. Les participants ont également balayé une diversité de modes d’implantation concrets de ces crucifères pièges et discuté des facteurs de réussite des leviers proposés. Ils ont qualifié la journée de « riche » et « intéressante ». La mise en place des stratégies de gestion par les agriculteurs volontaires à l’automne prochain permettra de préciser les conditions de réussite et de mesurer l’impact d’un couvert de crucifères attractifs dans un paysage, sous les différentes formes présentées.

Bibliographie
Bonnemaison L & Jourdheuil P (1954) L’altise d’hiver du colza (Psylliodes chrysocephala L.). Vol. 5
Cortesero A-M (2022) Fiche projet Ctrl-Alt.
Jeuffroy M-H, Loyce C, Lefeuvre T, Valantin-Morison M, Colnenne-David C, Gauffreteau A, Médiène S, Pelzer E, Reau R, Salembier C, et al (2022) Design workshops for innovative cropping systems and decision-support tools: Learning from 12 case studies. Eur J Agron 139: 126573
Larguier M & Le coeur X (2022) Rapport du CGAAER n°22016 « Sortie du phosmet » sur colza: retour d’expérience.

Contacts :
Anaïs Boulay – INRAE Palaiseau – anais.boulay@inrae.fr – 07 85 74 14 63
Ivan Le Masson – INRAE Palaiseau – ivan.le-masson@inrae.fr – 06 20 43 80 41

Grosse altise
Grosse Altise / Altise d'hiver (Psylliodes chrysocephala) © Justine Pigot INRAE